Par Manon Boquen dans Le Monde | Publié le 29.11.2023


Que deviennent les histoires une fois les articles parus ? Cette semaine, « M Le magazine du Monde » revient sur l’épineux sujet des locations saisonnières en Bretagne et sur le combat victorieux d’une Malouine pour reconquérir la tranquillité de son logis.

Nil Caouissin, l’élu de l’Union démocratique bretonne, l’avait suggéré dans un manifeste sorti à l’occasion des élections régionales de 2021 : pourquoi ne pas mettre en place un statut de résident en Bretagne ? L’idée, consistant à réserver l’acquisition des biens immobiliers dans les zones les plus recherchées à des ­personnes ayant déjà vécu un an au même endroit, avait alimenté un sérieux débat.

Parmi les citoyens intéressés par cette proposition, la Malouine Véronique Deschamps. Celle qui a jeté l’ancre il y a plus de trente ans dans la cité fortifiée fait partie des quelques centaines d’habitants à l’année intra-muros. Elle s’inquiète du devenir de ce fief très touristique, où le phénomène Airbnb a pris une ampleur considérable, avec des milliers d’annonces recensées.

La coiffeuse au civil en a même fait les frais. La maison historique où elle réside est divisée en trois appartements et a vu arriver, en 2016, une location saisonnière de courte durée dans l’un d’eux. Valises à gogo et passages ininterrompus ont envahi ce logis fait de bois et de torchis. « J’ai vu ce lieu si petit se transformer en un hall de gare, et mon adresse devenir une destination touristique », pointe-t-elle inlassablement. Alors qu’elle écrivait une « lettre aux Malouins » pour avertir de la situation en 2018, signée par six cents personnes, elle cofondait un an plus tard le collectif Saint-Malo, j’y vis… j’y reste !

Parallèlement, elle entamait un combat judiciaire contre les propriétaires de l’appartement loué sur des plates-formes comme Airbnb ou Booking, au motif du « trouble anormal de voisinage ». Une « qualité de vie altérée », selon ses mots, à laquelle cette lanceuse d’alerte voulait mettre un terme. « J’avais le choix entre subir et me taire ou vendre et partir, confie-t-elle. J’ai préféré une troisième option : me battre et avoir peur tout le temps. »

Ce qu’il s’est passé depuis

Si le statut de résident n’a pas vu le jour en Bretagne, la problématique du logement, elle, s’est encore intensifiée. En juillet 2023, la chambre régionale des notaires recensait une augmentation annuelle de 9,4 % du prix médian d’un appartement ancien à Saint-Malo, pour s’établir à 4 810 euros le mètre carré. Il était, à titre de comparaison, à 2 650 euros en 2015.

Dans un contexte déjà brûlant, Saint-Malo avait adopté, en 2021, une réglementation très restrictive en instaurant des quotas de locations de courte durée par quartier (12,5 % pour l’intra-muros). Son maire, Gilles Lurton (LR), estime que la mesure « a au moins mis un frein à l’inflation du phénomène, qui prenait une proportion industrielle ». Et reconnaît une prise de conscience tardive à ce sujet de la part des institutions.

Et, le 24 août, la cour d’appel de Rennes a donné raison à Véronique Deschamps, a appris M Le magazine du Monde, lui accordant une indemnisation au titre du préjudice subi. La cour a également confirmé l’arrêt de l’activité de location de courte durée dans l’immeuble, requise par le tribunal judiciaire en première instance deux ans auparavant pour non-respect du règlement de copropriété et de sa clause d’« habitation bourgeoise ». Il n’y a donc plus de va-et-vient incessants dans cette ancienne maison intra-muros. Une décision qui fait émerger une jurisprudence favorable à l’habitat permanent. « On aboutit à une présomption de nuisance provenant des locations de courte durée », explique Cyrille Moncoq, l’avocat de Véronique Deschamps.

D’après le jugement, les immeubles d’habitation à caractère résidentiel ne sont pas compatibles avec la location pratiquée via Airbnb qui nuit à leur tranquillité. « D’autres personnes pourraient s’appuyer sur cette décision » pour faire reconnaître cette inadéquation, indique l’avocat, qui prend en charge de plus en plus de dossiers comme celui de la Malouine un peu partout en Bretagne.

Sept ans après les débuts de son action en justice, et alors que les députés ont déposé une proposition de loi pour une régularisation plus importante des plates-formes comme Airbnb, mardi 28 novembre, Véronique Deschamps ne réalise pas encore sa victoire. Elle formule malgré tout un vœu : « J’aimerais me dire que mes enfants auront la possibilité de vivre ici. »